mardi 26 avril 2016

42,195 km.

Le 24 avril 2016.
Une date rappelée tant de fois, une date qu'on espérait qu'elle resterait. Je disais encore avant de partir vendredi que j'espérais vraiment qu'il y ait un avant 24 avril 2016, et un après 24 avril 2016.
N’exagérons rien, diront sans doute certains. 
Sauf que...

  • L'avant-course
Vendredi, je suis partie vers mon rêve. J'ai quitté mon bureau après 17h et j'allais prendre ce train qui me conduirait vers lui. Seule avec moi-même, une vraie manière de prendre du recul par rapport aux semaines passées, à ces semaines de préparation exigeante dont les derniers jours furent compliqués, trop compliqués. 
Quand je commençais plus sérieusement ma préparation dix semaines en arrière, je savais qu'il y aurait des instants de doutes : à ce niveau, j'ai été bien vaccinée. 
Mais douter permet aussi d'avancer.

J'arrive à Düsseldorf le samedi midi. Je vois la ville depuis l'avion, ces deux ponts que l'on retrouve sur de nombreux clichés de Düsseldorf, le Rhin, les arbres et de la verdure partout. Une grande ville où l'on semble respirer. 
Direction la Berliner Allee, numéro 33, pour retirer le sésame. Demain, je porterai le dossard 3244. Je fais un tour du village, je regarde plus les coureurs que les stands, je suis impressionnée, clairement, d'être là. Je prends mon temps, je m'arrête, stagne, erre, profite déjà un peu d'être arrivée jusque là.




Je prévois ensuite d'aller défouler les jambes 20-25 minutes, des jambes qui n'ont pas rechaussé des baskets depuis le mardi précédent.
Je m'installe d'abord dans un italien, commande des tagliatelles fraîches au saumon et poireaux succulentes, un Schweppes bitter lemon, un grand café. On continue de charger les batteries pour demain, ce n'est que depuis le mercredi soir que je mange du riz blanc et des pâtes.

Je quitte mon hôtel en tenue une heure plus tard et pars pour 5 kilomètres, des kilomètres encourageants pour la suite : zéro douleur au pied et surtout aucun signe de mon péroné qui m'aura un peu trop rappelé à lui dernièrement.


Il est bientôt 18h. Retour à la Berliner Allee où nous nous retrouvons avec Sandrine et Fabien, deux futurs marathoniens de Bourg-en-Bresse retrouvés un peu par hasard grâce au groupe Facebook "Marathonien 42.195 km". C'était super de les rencontrer, de discuter un peu ensemble de nos impressions sur ce marathon, super de pouvoir délivrer un peu ce qu'on a pu contenir jusque là.
On se quitte à 19h. J'ai continué de me promener un peu dans les allées commerçantes de Düsseldorf, suis allée chez Primark pour rapporter des petites choses aux enfants lorsque je reviendrai et puis avant 20h, je me suis dit qu'il fallait quand même que je rentre, que le voyage et cette journée avaient été déjà bien remplies, inutile de piétiner davantage.
A défaut d'un verre de blanc que j'ai trop aperçu sur les terrasses ce samedi en fin de journée, je me délecte d'un Bretzel et d'une salade de pâtes-poulet-sauce tomate. Bravo l'originalité et la "Saturday Night Fever".
On se masse les jambes à l'arnica, on s'enduit encore les pieds de NOK, règle mon réveil à 5h50 et hop, extinction des feux à 22h.

  • Jour J

Je dormirais cinq heures, réveillée bien avant le réveil avec cette question qui revient sans arrêt : "comment je m'habille tout à l'heure ?" (les futurs marathoniens ont des vrais problèmes). Sans rire, j'avais vu que les températures seraient à 2-3° vers 8 heures, 7-8° vers 11 heures et qu'un vent glacial serait de la fête. Alors des vêtements longs comme tu les as porté lors de ta prépa hivernale ? Ou bien des vêtements courts car il est vrai qu'on devrait vite se réchauffer.
En bonne normande, ce ne sera ni tout l'un, ni tout l'autre : j'opterai pour un semi-court en bas, un court + un long pour le haut.
Avant de me lever, je penserai beaucoup à tous ceux qui m'ont écrit ou parlé ces derniers jours, ces dernières heures et alors que je relis ce mail qui m'a touchée un peu plus, ces mots qui me parlent plus que d'autres, au moment même où je lis ces mots, le message en plus envoyé à 5h43. Encore une coïncidence ? Non, il n'y a pas de hasard dans la vie, seulement les mots de plus, le genre de mots qui seront aussi importants que tes jambes pour avancer sur ce marathon.

5h50
J'enfile un gros pull et descend prendre mon petit-déjeuner. Nous sommes deux, ce monsieur porte le tee-shirt finisher du marathon de Boston qui a eu lieu le week-end précédent, je reste ensuite la tête dans mon café et mes tartines, je prends mon temps, un calme olympien, une sérénité surprenante, je ne suis plus si impressionnée, je me sens bien, je veux y aller et vivre cette expérience pleinement.

7h30
On file prendre le métro (gratuit toute la journée à l'occasion du marathon), il fait froid mais le soleil tâche de se montrer parmi de gros nuages menaçants. Mon look est extraordinaire avec ce maxi sac-poubelle spécial jardin qui pue un peu mais qui me tient extraordinairement chaud.

8h10
Je rejoins Sandrine et Fabien sous le pont à proximité du départ. Ils ont froid, il faut dire que le vent en provenance du Rhin est glacial. On bouge et trouvons un endroit où nous sommes un peu plus à l'abri. On est contents de se retrouver une deuxième fois et discutons comme si nous nous connaissions depuis bien plus longtemps. On prend quelques photos souvenirs, on n'arrête pas de parler, on est tous excités je crois et attendons patiemment de rentrer dans notre SAS 4h30.

8h50
La masse de coureurs se fait plus compacte, les ballons meneurs d'allure sont positionnés, on rentre nous aussi et nous plaçons entre 4h15 et 4h30. On se souhaite bonne chance, bonne course et surtout d'en profiter. Il est un tout petit plus de 9h lorsque nous passons sous l'arche de départ. C'est parti, c'est super.

Objectif Semi
Je cours ces premiers kilomètres sans trop de pensées en tête. Je me contente de regarder autour de moi, de regarder les supporters, de regarder ces premiers quartiers traversés. On remonte vers le nord. Je suis positionnée juste derrière les ballons 4h15. Après avoir couru quelques kilomètres avec sa femme, Fabien me rejoint ensuite, nous faisons un bout de chemin ensemble, échangeons quelques mots avant qu'il reparte plus devant.
Je profite et vis sereinement cette première partie de course. Mon objectif étant d'arriver fraîche comme jamais au kilomètre 21 où commencera véritablement le marathon.
Après le kilomètre 10, nous allons traverser ce grand pont au-dessus du Rhin. C'est très beau et j'éprouve encore plus cette force, ce sentiment de puissance : être là, au milieu de la route, au-dessus du Rhin, sur ce pont immense, quelle chance, cette chance de courir là, maintenant, sans difficultés, avec tous ces gens qui acclament autour, c'est ça, de la puissance en barres qui te gonfle de force pour poursuivre cette expérience extraordinaire.
On tourne autour de ce que j’appellerais "l'île" (qui n'est seulement que l'autre rive du Rhin) jusqu'au kilomètre 21, avec au kilomètre 18, des vents plus forts et surtout une bonne averse de grêle qui nous surprendra tous plutôt. On ne désarme pas, l'objectif semi est bientôt là. C'est aussi à partir de ce moment que je sens ma douleur derrière le pied revenir. J'y pense quelques minutes, espère seulement que ça tiendra, jusqu'à la fin.
Kilomètre 21 passé en 2h07. On traverse de nouveau le pont, on se retrouve au niveau de la vieille ville pour repartir vers l'est.

Vidéo du passage du kilomètre 10

Objectif 30 km (partons donc affronter ce fameux mur)
Depuis le départ, j'ai gardé à l'esprit de m'hydrater et m'alimenter correctement environ tous les 6 kilomètres. Je suis partie avec six gels (testés sur sorties longues pendant la préparation) ainsi que deux gourdes + une bouteille d'une boisson isotonique au citron.  Jusque là, pas d'impasse : deux gels à 6 puis 13km, de la banane en plus ensuite, bananes disponibles sur les nombreux ravitaillements du parcours.

Je continue de courir avec cet objectif d'arriver au kilomètre 30 et de voir à quoi ressemble ce fameux mur du marathon dont tout le monde parle.
Vers les 22-23 kilomètres, je me souviens avoir traversé un petit passage à vide, dans le sens où je ne me rappelle pas de grand chose, que je me souviens surtout avoir repris un gel au kilomètre 24, de ne pas avoir attendu le kilomètre 27 où j'avais prévu d'en reprendre un. Certainement que bien m'en a pris car dès le kilomètre 27, je reprends conscience progressivement, conscience de ce qui m'entoure, conscience de la ville, conscience de mon corps qui ne flanche pas, conscience de la douleur derrière le pied qui est là, mais supportable.
Regain d'énergie même si je prends conscience aussi que les ballons 4h15 se sont fait la malle pendant ce petit passage à vide. Tant pis, ton objectif étant bien de terminer ce marathon sans grosses douleurs et de savourer le bonheur de vivre cette expérience.
Le kilomètre 30 se rapproche, mais "Wo ist die Mauer ?", me dis-je de cet allemand lointain qui revient en tête, "où est donc ce mur ?" dont tout le monde parle si fréquemment.
Je ne le rencontrerai pas. Je passe cette borne 30 sans mur, ni maintenant, ni après, je la passe avec mes jambes comme automatisées, ces jambes qui continuent de me porter à travers Düsseldorf, qui continuent de tenir et de courir avec facilité.

Kilomètre 40
Je suis bien. Les kilomètres défilent les uns après les autres sans trop de longueurs. Je savoure, comme je le voulais, comme je l'espérais, comme je le rêvais. Je n'ai jamais aussi peu regardé ma montre : fini le fractionné ou le fartlek qui m'en ont fait baver, aujourd'hui je cours à la sensation, sans martel en tête, c'est un vrai bonheur. J'ai seulement un peu plus regardé ma fréquence cardiaque sur les dix derniers kilomètres, une fréquence cardiaque qui tournait autour de 147-148, une fréquence cardiaque confortable où je sais que je suis bien, là. Je cours la sécurité : j'en ai bavé sur la fin de la préparation, hors de question d'aller tourner autour des 160 et plus de FCM, une FCM où je sais que je puise davantage dans mes réserves. Je fais le choix de rester en zone de confort pour garder une expérience délectable de ce premier marathon. Je me fiche d'être à mon maximum, je me fiche de courir peut-être plus vite, je veux juste prendre le temps de savourer pleinement. Je vais le terminer ce marathon de Düsseldorf, le vivre plus que jamais et c'est déjà un dépassement en soi.

Vidéo du passage du km 40 (y'a moins de gaz :-D)
Les coureurs du marathon ont les dossards blancs,
les coureurs plus rapides sont ceux du relais
(nanméo, remettons l'église au milieu du village)

Je suis bien physiquement, mon pied tient et puis alors, pour tenir jusqu'à la fin, je repense à vous tous, à vous tous qui m'avez accompagné dans cette expérience, à vos mots, vos messages, vos paroles. Je me dis que j'ai beaucoup de chance de vous avoir eu à ce moment, je mesure votre présence et comme des personnes de son entourage se révèlent lors des événements malheureux d'une vie, il y aussi celles qui se révèlent lors d'événements heureux et importants.
Mon premier marathon est, sera, et restera un moment heureux et très important de ma vie.
Oui, il y a un avant 24 avril 2016, et un après 24 avril 2016. J'ai compris encore plus de choses. Des choses sur moi, beaucoup, des choses sur mon corps, sur ma tête. Et puis des choses sur vous. J'ai bien vu ceux qui ont été là, ceux qui sont là. Et puis, comme dans tout événement majeur de sa vie, qu'il soit donc mauvais ou bon, il y a ceux aussi qui n'ont pas été là. Il y en a eu aussi, peu, mais elles existent aussi. Je sais donc aujourd'hui sur qui compter, je sais celles qui compteront le plus pour moi après ce 24 avril 2016 (on a un caractère entier, ou pas. De ce point de vue, la course à pied ne m'aura pas refait).

On m'avait conseillé aussi de me délester de ce qui me rendait en colère pendant ce marathon. J'ai réfléchi à ce qui me rendait vraiment en colère, je n'ai pas trouvé, je crois tout simplement que mes petites courses du quotidien me permettent déjà bien assez d'évacuer les mauvaises ondes et puis je n'allais finalement pas apporter une part d'ombre à ce beau jour.

Et j'ai pensé souvent à Valérie et le #Quicherunpower qui circule sur Instagram, hashtag instauré pour faire vivre à Valérie nos courses des quatre coins de France, d'Europe et du monde, Valérie qui lutte contre le cancer depuis plusieurs mois. Tout spécialement, N. était ô combien dans mes pensées et ce hashtag inscrit pour elle dans le creux de ma main. De même que mon mari et mes enfants qui ont vécu cette préparation marathon chaotique avec moi. On l'attendait fortement ce week-end de dénouement.

Le kilomètre 40 est arrivé. Et toujours ces jambes qui me tiennent. Pas de crampes, une tête gonflée à bloc, des sensations qui explosent, nombreuses. Je vis à 100%, mon corps et ma tête vivent pleinement, je suis libre et heureuse de faire ce que je suis en train de faire.
Je savoure ces deux derniers kilomètres, je continue de taper dans toutes ces mains d'enfants qui se tendent sur mon chemin, je rends ces sourires aux gens qui encouragent mon prénom inscrit sur mon dossard. On arrive bientôt, punaise, je le tiens d'une main de fer ce rêve ! Une dernière montée et puis là-haut, on surplombe le Rhin et la vielle ville où on aperçoit l'arche et tous ces gens massés sur le dessus. C'est splendide, on redescend, j'accélère, bordel de merde, j'y suis arrivée, les larmes arrivent et je franchi cette ligne tant et tant espérée.
Je regarde partout, mes jambes s'arrêtent de courir, je marche un peu plus vite, s'arrêter d'un coup, comme ça, c'est un peu étrange. Je vais contre la rembarde du fleuve, j'y appuie ma tête, regarde le sol et pleure, un peu, des larmes de joie, de grand bonheur.



Un rêve monté toute seule.


Trois ans de course à pied, à évoluer toute seule.

Ce rêve marathon, j'avais osé l'évoquer de loin il y a deux ans pour mes 35 ans.
Aujourd'hui, j'ai 34 ans.

Réalisez vos rêves, vraiment.
Encore merci pour tous vos encouragements. Je vous réponds très bientôt ♥ Prenez soin de vous.

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