24 septembre 2016, l'Odyssée du Tue-Vaques. Un magnifique trail sur la côte est Cotentin dont le 15km reste à ce jour ma course la plus magnifique.
Cette année, il était évident que j'allais m'aligner sur le 30km : un mois avant le Marathon des Causses du Festival des Templiers, ce serait un premier grand oral béton pour confirmer ma prépa sérieusement menée depuis six semaines pour l'occasion.
Samedi matin, je suis plus excitée que mes gamins, la météo est idéale et j'ai tellement hâte d'aller crapahuter sur la côte, quarante kilomètres plus loin. D'autant plus qu'on part en famille : mes meilleurs supporters.
Tous les voyants sont au vert : les entraînements se passent très bien alors même que je n'ai jamais couru autant depuis toujours, l'alimentation est OK, le sommeil toujours aussi précieux.
Nous arrivons sur place une heure avant le départ, le temps de récupérer mon dossard, d'aller m'échauffer tranquillement avec Fiston (déjà une récompense avant même de franchir la ligne d'arrivée). On retrouve des connaissances, et puis Yannick, un copain, qui fait beaucoup la fête en temps normal mais cette semaine : "non, j'ai rien bu pendant sept jours et j'ai fait attention à dormir plus". OK, normal, et en plus Yannick, il court une fois de temps en temps 15 à 20 kilomètres et rien d'autre.
127 coureurs au départ de ce 30km réputé difficile dont les pointures du coin, et notamment les deux soeurs Émeline et Anaïs Siard, des sacrées championnes de ma catégorie dont mes coups d’œil répétées témoignent de l'admiration que je leur porte.
Des gros bisous à mon mari, mes enfants et en place, c'est parti pour l'Odyssée.
On se dirige vers la mer : je savoure lorsque j'arrive deux kilomètres plus loin, une vue dégagée sur toute la grande rade de Cherbourg, on prend le sentier littoral vers le Fort du Cap Lévi et la Plage de la Mondrée de Fermanville avant de remonter vers le point de départ.
Les sensations sont bonnes et m'autorise d'ailleurs des accélérations qui, sans doute, auront un peu joué sur la suite.
Km 7 : mon mari, mes enfants et une amie sont positionnés à l'intersection, une grande bouffée de bonnes ondes qui me redonnent des ailes pour repartir dans ce petit sentier.
Km 9 : on atteint le point de départ, le trail de 15km est en position pour son départ six minutes plus tard, je suis contente de passer avant car j'ai le souvenir des tout petits sentiers escarpés à venir dans la forêt qui sont vite embouteillés.
Des encouragements de Gaylord qui prendra le départ du 15 et on attaque cette bonne côte, en assez bonnes conditions après un bon échauffement de neuf kilomètres.
On vire à gauche, les sentiers forestiers, la caillasse, les racines, on rentre dans le vif du sujet...difficilement : c'est là que débutera ma baisse de forme, une baisse d'abord mentale avec des vides, une difficulté à rester concentrée, une difficulté à négocier ces sentiers du mieux qu'il soit.
Les premières fusées du 15km commencent à nous doubler à une vitesse, c'est désarmant et me fait perdre mes repères un peu, une perte de repères renforcée par mes vides récurrents du moment, une perte de repères dans laquelle j'ai du mal à trouver ma propre vitesse : pas évident de continuer son périple à vitesse plus modérée, je suis un peu happée par la très grande fluidité des athlètes du 15 qui défilent les uns après les autres.
Pourtant, certains me reconnaissent : Cédric, Emmanuel, Valentin. Des mots, des encouragements qui reboostent, je me dis "allez, oui, c'est dur, mais ça ira mieux très vite". 11 kilomètres, j'ai parcouru 11 kilomètres. Et là, je sais que je ne vais pas bien car je me dis que c'est trop peu, qu'il m'en reste encore les deux tiers.
En haut d'une côte, absente, une bénévole m'aiguille à la vue de mon dossard différent de ceux du 15 : "madame, le 30, c'est à gauche !". Merci, je serai partie de l'autre côté. Et je suis finalement contente de repartir davantage en intimité du côté de ces sentiers.
Km 13, je demande à mon voisin du moment si le ravitaillement est loin ? "Oh oui, il est trèèès loin". Très bien, je monte cette côte en marchant et mange une moitié de barre de céréales tranquille, je bois, je reprends quelques forces.
On continue avec des douleurs d'estomac toujours plus accrues, les fameuses douleurs gastriques qui me font mal comme jamais. Trois fois, j'irai me cacher dans un champ. Mon estomac est en vrac, il n'y a pas de doute et même ces délivrances ne soulageront pas grand chose. C'est le début d'une longue traversée du désert avec moi-même : j'ai mal, je vois les kilomètres défiler les uns après les autres, je cours pourtant à un rythme pas si dégoûtant mais à quel prix. Je repense à mes 20km quinze jours auparavant où j'ai encouragé ce coureur qui n'était pas dans son jour "allez, il y a de ces jours où ça ne va pas, une course ne fait pas l'autre, tâche de profiter du paysage". Un paysage dont je me suis répétée les derniers jours que j'allais savourer : la côte est, les petits chemins forestiers de la Vallée des Moulins, le Viaduc, la lande qui domine toute la côte est du Cotentin, l'Anse du Brick, tellement d'endroits plus beaux les uns des autres à apprécier, tellement d'endroits dont j'aurais eu peine à apprécier ce 24 septembre.
Je m'arrête plusieurs longues minutes au premier ravitaillement au km 18 (oui, il était bien trop loin ce premier ravitaillement). Je tâche de reprendre mes esprits mais partie la concentration, bonjour le mental en carton. Je n'ai pas envie de reprendre ce sentier, j'ai toujours autant mal au ventre. Allez, dis-toi que le plus dur est fait, bientôt le dernier tiers à attaquer.
Sauf que, ce sera de mal en pis. Là-haut, sur la lande, au km 20, un coureur juge de mes difficultés : "tout va bien ?". Oui, sauf des douleurs gastriques comme jamais. "Mais le reste, les jambes, le corps, OK ?". Oh oui, de ce point de vue là, tout va bien même si les jambes commencent à être lourdes mais c'est logique : le parcours est changeant, tout le temps, et des montées et puis des descentes, toujours un rythme cassé par ce profil saccadé de course.
Km 23, il y a les douleurs gastriques, on fera désormais avec un point de côté dont je ne me souviendrais pas de pareille douleur. J'ai tellement mal, je continue de courir très difficilement, je m'arrête, je suis frustrée dans cette partie du bois où je devrais m'élancer dans ces descentes plus glissantes, et pas marcher pour que ce point de côté veuille bien déguerpir, je tâche de repartir plusieurs fois mais rien n'y fait, il s'accroche à moi, à mon estomac en vrac et pour la première fois dans une course, j'ose penser que je vais arrêter car je repense à Yohann Diniz lors des Jeux Olympiques, Yohann Diniz qui s'était mis à mal alors qu'il souffrait de douleurs gastriques pendant son 50km. Et franchement, j'ai pas envie de passer ma soirée à l'hosto. J'ai pas envie non plus d'aller contre mon corps qui me dit depuis trop longtemps maintenant qu'il voudrait que ça s'arrête.
Mais quoi faire dans cette partie du parcours où il n'y a rien ? Appeler tes proches et jeter l'éponge à sept petits kilomètres de la fin ?Tu n'as même pas vu l'Anse du Brick, tu l'attends pourtant tu sais ?
Je repars, avec ces pensées en tête, l'Anse du Brick n'est pas loin. Km 26, la voilà, et là, je prends le temps de savourer le spectacle : la lumière est superbe, je prends le soleil, observe la beauté de cette anse réputée, même en montant à flanc de landes où deux filles m'ont rattrapée, et me doublent. Je prends le temps de monter la lande, allez, quatre petits kilomètres, dans mon souvenir du 15km il y a deux ans, la fin de parcours n'est pas si terrible.
Km 27, après plusieurs alternances marche/course et des jambes qui sont de plus en plus en peine, je pleure aussi. Je pleure parce que bordel, qu'elle est dure cette Odyssée. Je pleure parce que je ne suis pas en osmose avec mon corps, pas cette fois-ci, et je ne sais pas l'expliquer, pourquoi des douleurs gastriques de ce niveau, pourquoi ? Je pleure parce que je pense à mes amours qui sont en train de m'attendre et je ne voudrais pas qu'ils me voient pleurer, ils voudraient leur femme, leur maman, leur amie, forte, épanouie, souriante à l'arrivée.
Km 28, le ravito (oui, pourquoi à deux kilomètres de la fin ?). Je m'arrête, bois trois verres d'eau et explique aux personnes qui sont là qui ressentent bien la douleur que c'est tellement dur. "Allez, courage, vous l'avez fait, plus que deux kilomètres et ça descend". Je repars, mon estomac qui me dit encore d'arrêter, il ne s'arrêtera donc jamais celui-là.
Km 29, mon mari. Il est là, en haut du sentier, il est venu car il ne comprenait plus pourquoi il ne me voyait pas arriver en même temps que tous les autres qui étaient à mes côtés au km 7 et qui avaient déjà franchi la ligne d'arrivée. "J'ai mal, si tu savais". On y va, tous les deux, ses paroles précieuses me guideront pour ces derniers mètres.
Km 30, la dernière montée dans le sous-bois, escarpée mais je monte plutôt correctement. Le plat et puis cette longue descente abrupte, dans laquelle les orteils se font un peu plus mal dans le bout des chaussures.
L'arrivée de l'Odyssée du Tue-Vaques.
Je ne veux rien manger, je ne veux plus que cet estomac se manifeste, je veux m'asseoir, me réhydrater posément. Les yeux de mes enfants, surpris, sans aucun doute : "c'était dur maman". Oui, c'était dur ma Chérie mais ne t'inquiète pas, maman se repose un peu et ça ira mieux.
Je me lève, difficilement, la tête tourne. On fait pourtant quelques photos, avec ma si précieuse famille, avec Yannick, vous vous rappelez, notre copain qui fait toujours la fête, 3h18 il a mis, mais c'était tellement dur il me dit.
Des secouristes prennent ma tension, je suis blanche, j'ai encore des étourdissements. Elle est basse, je prends encore quelques minutes pour retrouver mes esprits.
Il est 19h et laisse derrière moi cette Vallée des Moulins, cette côte est Cotentin dont je me souviendrais très longtemps : l'Odyssée du Tue-Vaques 2016 constitue à ce jour ma course la plus douloureuse. Je n'avais pas connu le mur lors du marathon, le Tue-Vaques m'en aura fait connaître plusieurs en 30km.
30,7 km, D+ 520m, D- 515m.
Temps officiel 3h43, 119 sur 127, 14ème féminine sur 15.
Et une nouvelle fois, repartir avec son lot d'apprentissages sur soi.