Avec nous, tu n'es pas si bavard.
Du moins, tout est relatif.
Plus petit, je me souviens qu'on disait très souvent que tu étais un vrai moulin à paroles, il y a même une période où nous étions une peu obligés de quitter la pièce dans laquelle tu étais pour espérer trouver un peu de calme ailleurs : une fois que tu étais parti à raconter quelque chose, on ne t'arrêtait plus.
Aujourd'hui, ce n'est plus vrai. Aujourd'hui, tu as une petite sœur qui est très très présente et qui a contribué certainement à ce que tu parles moins, à ce que tu t'effaces un peu.
"T'effacer", je n'aime pas trop ce terme, c'est triste ce mot, "effacer", mais pourtant je pense que c'est ce que caractérise ton comportement à la maison depuis ces deux dernières années à peu près.
Aujourd'hui, tu parles moins, tellement moins que nous avons eu quelques surprises cette année pour ton année de CP.
Début octobre, première réunion avec ton institutrice, une rencontre parents-professeur pour présenter l'année et répondre à nos éventuelles questions. Et puis, on a voulu échanger personnellement avec elle car nous avions le sentiment que tu étais renfermé, à la maison tu nous parlais si peu de ton entrée au CP, de tes impressions, de ce que tu y faisais. Comme tout parent, on se faisait un peu du souci, savoir si tu aimais vraiment la classe, si tu y étais intégré. Et puis ton institutrice nous a fait des yeux ronds : "Comment, Marin réservé ? Mais pas du tout ! Ce serait plutôt le contraire, Marin est très bavard et très volontaire."
Très bien, nous voilà rassurés.
Rassurés mais une nouvelle fois très surpris lorsqu'on lira ce mot avant les congés de Noël où l'institutrice nous demandait de reprendre Marin, de lui expliquer qu'il ne pouvait plus parler à tout va dans la classe. Elle avait épuisé ses arguments à son égard. Alors, on lui a expliqué, nous étions un peu désarmés, notre fils n'est réellement pas le même à la maison : notre fils est posé, parle peu mais observe, entend et comprend beaucoup de choses rapidement c'est certain.
Et puis l'hiver se termine, le printemps démarre, tu continues de mener ton année de CP tranquillement, peut-être trop tranquillement : au début de l'année, on ne disait trop rien mais en mars, on a commencé à se dire que les leçons étaient un peu légères, elles étaient devenues une formalité pour toi, quand faire les leçons pour certains, c'est compliqué, pour toi, c'était un peu comme si on te demandait de mettre la table...
Avec ton papa, on en avait parlé tous les deux : soit le niveau de CP était un peu trop léger, ce dont nous doutions puisqu'on avait rencontré ta maîtresse pour aussi discuter de cela, ta maîtresse qui nous avait confirmé qu'elle te donnait des travaux supplémentaires pour ne pas que tu t'ennuies. Ou bien soit, tu comprenais vraiment vite et alors peut-être ton niveau était-il au-dessus d'un niveau de CP. Mais cette deuxième explication, on en a beaucoup parlé, on se disait que faire aller trop vite les choses, n'était pas nécessairement bénéfique.
Et puis vint ce coup de fil au bureau en plein après-midi il y a trois semaines. Ton institutrice appelait, elle souhaitait "un rendez-vous pour parler du très bon travail de Marin". Coup de fil étrange qui vous laisse un peu comme deux ronds de frites ensuite. Il valait mieux ça que le contraire mais quand même, tu es un peu sonné.
Le lundi suivant, ta maîtresse m'a montré tous les travaux que tu avais accompli depuis plusieurs mois. Des travaux pour la plupart qui étaient signalés par un astérisque rouge : "Comment ? Mais Marin ne vous a pas expliqué que l'astérisque rouge indiquait qu'il s'agissait de travaux de CE1 ? Il le sait bien pourtant et je lui disais de le dire".
Non, Marin ne nous a rien dit. Pas plus que de nous dire qu'il avait même commencé les multiplications, qu'il avait bien passé le test pour la résolution de problèmes, qu'il avait pu être intégré quelquefois au groupe de CE1 lorsque ses travaux de CP étaient terminés.
Non, notre fils ne nous a pas parlé de tout ça. Nous félicitions de temps en temps notre fiston car il était évident que tout marchait comme sur des roulettes. Mais, il ne s'est jamais vanté qu'il faisait bien plus que des travaux de CP, qu'il était même demandeur de travaux supplémentaires et qu'il les accomplissait plutôt très bien.
Nous devions donner notre réponse avant les vacances de Pâques vendredi dernier.
Notre fils a été intégré dans la classe de CE1 jeudi dernier et c'est par un si gentil mot de la maîtresse jeudi soir que nous l'avons su. Je me suis approchée de mon fils ensuite pour le féliciter, mon fiston qui est resté une nouvelle fois pudique, notre fiston qui doit être si fier, si heureux mais qui garde ses impressions pour lui, comme cachés au plus profond de lui-même.
Notre fiston qui nous demandait un jeu d'échecs lorsqu'il avait à peine cinq ans.
Notre fiston qui part avec maman de temps en temps : lorsqu'il s'agit d'aller voir une expo, de prendre le train pour un week-end, entre autres culturel, il est le premier à répondre présent.
Notre fiston qui nous a dit plusieurs fois que lui aussi il voulait aller à Marseille bientôt.
Tu sais fiston, Marseille, ce sera pour une autre fois mais en attendant, ta maman prévoit d'aller à la Cité des Sciences avec toi début juin. Mais Chuuuttt! Tu ne le sais pas encore. Tu l'apprendras un peu de la même manière que nous avons appris pour ton intégration en CE1. Et tu nous parleras un peu plus désormais, histoire que papa et maman soient un peu plus préparés à la façon dont tu grandis, trop vite ?